Féminisme, un gros mot ?

Femmes noires

« J’suis pas féministe, mais quand même ! »

Quand mon amie commença ainsi sa diatribe contre ce père de famille refusant de confier l’éducation physique de ses enfants à une femme, mon sang ne fit qu’un tour. « Ah bon ? Ben, moi j’le suis ! » J’aurais pu demander pourquoi elle ne voulait pas des mêmes droits que les hommes, mais c’était trop tard. Déjà m’étais-je indignée contre cette forme d’auto-défense qui nous pousse à anticiper l’insulte suprême : tu es féministe.

Peur des étiquettes

En France, « je suis féministe » est encore un aveu qui se chuchote au creux de l’oreille bienveillante – ou une fierté confinée dans les sphères du militantisme. N’en déplaise à qui veut classer le dossier, la démocratisation du féminisme est toujours balbutiante. Le mot lui-même met mal à l’aise, et pour cause : il réveille à la fois notre propension à l’étiquetage et notre peur du regard des autres. Et si je passais pour hystérique, castratrice ou lesbienne ? Va-t-on m’accuser de conformisme si je me rase ou me maquille ? Puis-je être féministe sans stigmatiser la gent masculine ? L’homme féministe déroge-t-il à l’injonction de virilité ?

Affirmation anti-sexiste

« A un moment donné, j’étais une féministe africaine heureuse n’haïssant pas les hommes, aimant le gloss et portant des talons hauts pour elle et non pour les hommes. » Chimamanda Ngozi Adichie

Le féminisme n’est pas une obscure doctrine réservée aux femmes blanches intellectuelles d’Occident. Au-delà du sexe, du genre, du désir, de la religion ou de la culture, il n’est l’apanage d’aucun mouvement. C’est une attitude empathique qui appartient à tout le monde. Le féminisme est un humanisme au sens académicien du terme, c’est-à-dire qu’il vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité. Cette revendication d’amour sans frontière est l’antipode d’une conduite discriminatoire fondée sur les différences entre les hommes et les femmes : le sexisme.

Hommes, osez le féminisme !

« Tous les hommes devraient être féministes » John Legend

« Féminisme » désigne l’attitude des personnes souhaitant que les droits des femmes soient les mêmes que ceux des hommes. Or, parmi les centaines d’hommes que je côtoie, deux seulement se déclarent ouvertement féministes. L’écrasante majorité de mon entourage masculin est-elle pour autant discriminatoire ? Si le mouvement #MeToo a récemment confronté le monde à sa réalité et que de nombreux hommes se positionnent désormais contre la violence, qui se dit féministe ? Qui revendique l’égalité en acte ? Qui ose dépasser l’injonction de virilité ? Alors qu’il est question de droits élémentaires, la plupart des hommes n’ose pas dire le gros mot.

Quitter notre zone de confort

Le changement nous angoisse car il bouleverse la norme. L’histoire est pourtant ponctuée de luttes qui, au prix de sueur et de persévérance, améliorent le monde. Abolition de l’esclavage, droit de vote des femmes, dépénalisation de l’homosexualité : à pas de tortue, les injustices contre les minorités reculent. Or comment expliquer qu’au 21e siècle, nous continuions de discriminer 50 % de la population mondiale à cause de son sexe ? Le refus de cette aberration prend le nom de féminisme.

Le langage, instrument de lutte

Il y a les luttes qui retentissent, comme la colère d’une manifestation. Puis il y a celles qui se mènent en silence jusqu’à venir s’installer subrepticement au rang d’habitude. Dans la discrète bataille contre le sexisme du français, nos choix langagiers sont une arme de revendication massive. Féminisation des noms de fonctions prestigieuses, tournures épicènes, règle de proximité : une infinité de stratégies élégantes existe pour écrire et parler de manière équitable. Reflet de la société, le langage est un instrument politique dont l’évolution miroite celle des mœurs. Quid de la réciproque – et si les mots transformaient nos comportements ?

Apprivoiser le gros mot

Certains mots font peur, reste à les apprivoiser. Dans les pays anglo-saxons, les minorités sexuelles et de genre ont su se réapproprier le terme « queer », lui ôtant son caractère initialement injurieux. Il s’est depuis invité dans de nombreuses langues, pour contrebalancer l’hétéronormativité et le présupposé cisgenre. Au Québec, le féminisme est devenu une évidence : les t-shirts « this is what a feminist looks like » se vendent comme des petits pains dans les supermarchés. Et si nous nous armions, nous aussi, de courage pour démocratiser le terme ? Plutôt qu’un aveu timide, « je suis féministe » deviendrait alors un mot doux prononcé par amour – celui de la justice.

Pour aller plus loin

Image : Arte Radio, Un podcast à soi (n°7) : Les flamboyantes

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