Dépoussière ton français !

J'avoue

Top 10 des expressions inconnues des plus de 30 ans

À 15 ans, quand je disais « fumer une clope », mon père me reprenait, soutenant mordicus que l’on disait un clope, et que ledit clope signifiait par ailleurs mégot, cadavre autrement dit infumable. Je me souviens également de sa perplexité quant aux inventions linguistiques que mon frère et moi peroquettions à la maison. Parfois, le paternel avait l’audace de s’approprier nos trouvailles. C’est ainsi que nous l’entendions lancer, hilare « ’Tain il est pourave, ton vin ! » à notre oncle qui rétorquait tout de go « Mais t’es foncedé, ou quoi ? », avant de pouffer à son tour. Quinze ans plus tard, mon père continue d’affirmer à qui veut l’entendre que « La vache ! » est une expression parfaitement courante pour marquer la surprise, et moi, d’en rire avec bienveillance.

Le temps passe passe passe

Mais qui rira le dernier ? Les fêtes de famille intergénérationnelles me mettent face à une nouvelle réalité : je ne parle pas la langue de mes petits cousins. Heureusement pour les cheveux blancs, la séparation intergénérationnelle s’apparente davantage à un glissement insidieux qu’à une frontière bien définie. Ainsi, à l’instar de k-sos (cas social), pélo (gars), vago (voiture), tise (alcool), keum (mec) ou narvalo (fou), on retrouve chez les plus jeunes une armada de rescapés de mon adolescence. Sans parler de toutes ces nouveautés que, non sans soulagement inavouable, l’on devine sans connaître [demandez à askip (à ce qu’il paraît), en soum-soum (discrètement) et ballec (bat les couilles, également utilisé par les personnes dépourvues desdits attributs)]. Quant au reste, force est de constater que l’eau a coulé sous les ponts.

Top 10 des expressions inconnues au bataillon

  • N°10 « J’ramène la tise, tékaté ! »

On dit aussi « tékass ! », entendez « t’inquiète ! ». La graphie proche de « tkt », abréviation de l’expression en langage SMS, semble en expliquer la provenance.

  • N°9 « Fais belek, y a les flics ! »

Vous l’aurez compris, il s’agit de faire gaffe. Expression issue de l’arabe (littéralement, « ta pensée ») invitant à faire attention, « belek » désigne par ailleurs une personne qui guette l’arrivée de la police pour prévenir les dealeurs.

  • N°8 « J’suis au BDR, mon keum m’a tèje ! »

Peut-être aurez-vous reconnu l’acronyme d’au Bout Du Rouleau, sentiment également relayé par les expressions être « au bout de sa vie » ou en PLS, Position Latérale de Sécurité.

  • N°7 « Les maths, c’est tarpin relou… Viens on n’y va pas ! »

En d’autres termes, les maths, c’est trop chiant. Mot d’origine gitane dont l’utilisation ce serait répandue depuis Marseille, « tarpin » est une déclinaison de « grave », « cher » ou « chaudard » qui, vous le savez, a pour fonction de renforcer l’adjectif qui le précède.

  • N°6 « J’ai trop l’seum, mes parents veulent pas qu’je sorte ! »

J’suis dégoûté ! J’suis vénère ! « Seum », ultra-cité par les linguistes, vient de l’arabe sèm, qui signifie « venin », « poison » et, par extension, « jalousie ». « Avoir le seum » exprime donc le sentiment d’être laissé pour compte. Synonyme : « avoir la mort ».

  • N°5 « Il m’a dit Je t’ai trompée mais c’était un prank ! »

Nul doute que les anglophones reconnaîtront le canular, la blague, la farce de l’expression to play a prank on somebody.

  • N°4 « La sœur de mon pote, elle a cher le swag ! »

Elle a la classe, du style, du charisme. L’expression signifiant « avoir fière allure » dériverait de l’anglais to swagger, c’est-à-dire marcher en se pavanant, adopter une démarche arrogante. Déjà au 16e siècle, Shakespeare l’emploie dans A Midsummer Night’s Dream pour désigner une attitude plutôt qu’un vêtement. Certaines communautés auraient utilisé ce terme comme rétroacronyme (voir Secretly We Are Gay).

  • N°3 « Viens, on va s’enjailler en boîte ! »

On va s’éclater, faire la teuf, passer du bon temps, séduire, en trois mots, se mettre bien. Synonyme de « s’ambiancer », s’enjailler vient du nouchi, argot ivoirien, inspiré de l’anglais enjoy. Or, ce verbe est lui-même emprunté au (suspens)… vieux français (!) « enjoir », c’est-à-dire « jouir de », jadis parlé à la cour d’Angleterre. Après un long voyage, la boucle est bien bouclée.

  • N°2 « Vas-y, mais pourquoi tu parles à c’boloss ? »

Désignant un gros nul, un bouffon, un pigeon, un blaireau, un boulet, un raté, un perdant, le terme boloss est devenu obsolète avant même que l’on en comprenne la provenance. L’hypothèse du professeur de linguistique Jean-Pierre Goudaillier : ce serait le verlan de « lobos », raccourci de lobotomisé. Dans le même ordre d’idée, le « schlague » n’est pas seulement utilisé par Marine Le Pen pour désigner une manière brutale de se faire obéir – ce nom issu de l’allemand schlagen (frapper) signifie chez les plus jeunes une personne négligée, à la ramasse, qui fait n’importe quoi.

  • N°1 « Tu vas pas m’la faire, j’connais les bails ! »

Autrement dit : je sais ce qui se trame. Parfois appelés « bizzgo » ou « sness » (que l’on ne vous fera pas l’affront d’expliquer), les bails désignent les choses, les affaires – un nouveau retour aux sources car c’est précisément le sens revêtu par ce mot selon la 7e édition du Dictionnaire de l’Académie française, datant de 1877.

  • BONUS « Crari j’ai prié parce que mon père était là. »

Faire crari, c’est faire semblant, faire style, faire genre, voire frimer. Si son origine est incertaine, ce terme pourrait bien être le cousin romani, langue nord-indienne qui s’enracine dans le sanscrit, de l’arabe « zarma ».

Accros aux acronymes

Pour mentionner les outsiders, il convient de noter qu’une « go » désigne une « meuf » et que « je m’en rince » signifie « je m’en fous ». Côté sigles, la créativité est sans limite. Contemporaine de l’ère Papin, j’aime particulièrement l’évolution de JPP, comprenez désormais J’en Peux Plus. L’acronyme OSEF (On S’En Fout) a également son charme. Avec la prise en compte de la dimension phonétique dans des inventions comme OKLM (« au calme », qui désigne une personne sereine) ou TMTC (« toi-même tu sais », tu le sais aussi bien que moi), on ne s’en tient d’ailleurs pas au sigle stricto sensu.

Une œuvre participative en évolution continue

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, disait le présocratique Héraclite, et le langage est à l’image de sa philosophie : deux générations n’ont jamais exactement le même. Comme son nom l’indique, le propre d’une langue vivante est bien d’évoluer, n’en déplaise au Gaulois réfractaire au changement. À chaque génération, donc, d’apporter sa pierre à un édifice linguistique en perpétuelle construction.

Image : J’ai le seum, David Kuhn et Violette Duplessier

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