Personnalité sportive ou politique, album ou film de l’année… A chaque année ses classements. En Allemagne, les mots aussi sont à l’honneur. Il existe en Allemagne un titre annuel attendu avec impatience et commenté avec ferveur : celui du « mot de l’année », décerné depuis 1971 par la Gesellschaft für deutsche Sprache (GfdS, Association pour la langue allemande, pendant technocrate et non élitiste de l’Académie française).
Wort des Jahres : le mot de l’année
Le mot de l’année présente l’intérêt de refléter dans une certaine mesure l’état d’esprit général de la société allemande ou les événements majeurs qui ont pu marquer la culture collective : Flüchtlinge (réfugiés, 2015), Lichtgrenze (frontière lumineuse en 2014, en référence à la poétique commémoration des 25 ans de la chute du Mur de Berlin ), GroKo (abbréviation de Große Koalition, grande coalition formée par la CDU d’Angela Merkel et les socialistes du SPD suite aux élections législatives de fin 2013) ou bien Fanmeile (fan zone, 2006 – suite au Sommermärchen, conte d’été de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne)… Autant d’exemples montrant comment la langue usuelle peut être durablement influencée par l’actualité nationale et internationale.
Ce titre permet aussi de mesurer les influences d’autres langues sur la langue allemande. Ainsi, pour le Wort des Jahres 2016, révélé le 9 décembre 2016, le choix de la GfdS s’est porté sur postfaktisch, une adaptation du mot anglais post-truth. Derrière cet idiome, l’idée que les émotions tendent désormais à prendre le pas sur les faits dans les discussions politiques et de société, et un phénomène entre autres observable lors des dernières élections américaines. Sur la deuxième place du podium se hisse le mot Brexit, talonné par le mot Silvesternacht, littéralement « nuit de la St-Sylvestre », en écho à la vague d’agressions commises envers des femmes lors du passage au Nouvel An 2016 qui avaient déclenché de vives polémiques et une opportune radicalisation d’une partie de l’échiquier politique allemand. On constate donc que deux des trois premiers mots ne sont pas même allemands.
Et ailleurs ?
Dans le monde germanophone
Alors que le mot de l’année se rapporte originellement à l’ensemble de la sphère germanophone, les autres pays de langue allemande se sont émancipés du classement de la GfdS, frustrés de ne voir couronnés que des mots se rapportant essentiellement à l’actualité ou au contexte allemands. A partir des années 2000, la Suisse, l’Autriche et le Liechtenstein ont donc commencé à décerner eux aussi ce titre.
Dans le monde anglophone
Dans le monde anglophone, plusieurs institutions désignent un mot de l’année. Le palmarès le plus suivi semble être celui de l’American Dialect Society, qui se concentre sur les mots employés aux Etats-Unis avec une vision plutôt libérale et ouverte, en témoigne la liste des mots primés ces dernières années : hashtag, occupy, #blacklivematters ou bien le singular they en tant que pronom non genré qu’utilisent les personnes à l’identité de genre non binaire pour se désigner elles-mêmes. Certains dictionnaires britanniques de renom désignent également leur mot de l’année. Ainsi, post-truth avait déjà été choisi, un mois avant la décision du jury allemand, comme International Word of the Year 2016 par les Dictionnaires Oxford.
Dans le monde francophone
Concernant la langue française, on trouve bien un mot de l’année décerné depuis 2005 par le bien-nommé Festival du Mot de la Charité-sur-Loire (Nièvre), qui a couronné en 2016 le mot « réfugiés » sur la base d’un vote auquel ont participé près de 100.000 personnes. Il est intéressant de noter au passage que, comme le jury allemand qui avait fait de Flüchtling et des réfugiés son Wort des Jahres 2016, les membres du jury français ont souligné la connotation pas toujours positive que peut prendre le terme « réfugiés ».
Une initiative originale, mais sans commune mesure avec ses cousins d’autres langues. Toutefois, le Ministère français de la Culture et de la Communication liste chaque année depuis 2002 les 10 mots de la Francophonie autour d’une thématique bien précise . D’un intérêt davantage diplomatique que linguistique ? A débattre…
D’autres mots à primer
Pourquoi ne pas couronner le mot de l’année des locuteurs non-natifs ? Nous avons un rapport différent, distancié et clinique, mais aussi affectueux et sincère à la langue étrangère. Quel serait donc votre mot allemand, anglais (ou autre) de l’année 2016 ?
Et saviez-vous qu’il existe aussi un « non-mot » de l‘année ? Et même un mot « djeuns » de l’année ? Restez connecté-e-s pour en savoir plus prochainement…
Image : HikingArtist
4 commentaires sur “Le palmarès des mots”
« Vorfreude »: voilà un joli mot, la joie anticipée, la joie pressentie, la joie attendue, la joie d’avant mais déjà presque là et qui correspond à un sentiment souvent éprouvé: cette joie pressentie est souvent plus pure et entière que la joie réelle qui suivra, qui, elle, est traversée par la déception de cet état qui ne peut durer et donc bientôt disparaîtra. Il y a, chez Romain Gary, cette émouvante définition de la « promesse de l’aube », je cite de mémoire: « la vie promet toujours plus qu’elle n’apporte ». La joie aussi.
« Vorfreude ». Un mot exprimant la joie à la perspective d’un évènement.
J’ai réfléchi à cette question en écrivant l’article et ne suis pas parvenue à une décision définitive…
Peut-être un mot lui aussi en rapport avec le populisme galopant, comme « Lügenpresse » ou « Volksverräter ».
Sur un plan plus familier et quotidien, « absolut! ». Beaucoup de mes ami-e-s se sont approprié ce mot.
Et le tien, quel serait-il ?
Alice, quel serait ton mot allemand de l’année 2016 ? 🙂