Sacres et jurons : l’Église et le sexe ?

´Graffiti tabarnak!

Un jour, à Montréal, j’entends un constat auquel je n’ai jamais réfléchi : les Québécois utilisent le vocabulaire de l’Église pour jurer, les Français celui du sexe. Quelle est sa part de vérité ? Petite comparaison des sacres et des jurons, illustration frappante de la pluralité du français.

Les sacres québécois : bienvenue à l’Église ?

Les sacres, héritage religieux du Québec ?

Les sacres québécois attestent l’influence de l’Église catholique sur la Belle Province. Du moins en apparence. Parmi les sacres les plus courants, vous rencontrerez constamment des éléments ecclésiastiques parmi lesquels :

  • Des personnages bibliques : le Christ, la Vierge
  • Des objets ecclésiastiques : l’hostie, le calice, le tabernacle, le ciboire
  • Des cérémonies et lieux religieux majeurs : le baptême, le sacrement, le Calvaire

Ne sacrez pas à tout bout de champ !

Autant prévenir les francophones non canadiens qui s’en amusent :

  • L’utilisation des sacres directement dérivés des objets et des personnages ecclésiastiques est tout à fait vulgaire. Les plus courants d’entre eux : crisse, hostie, câlisse, tabarnak, ciboire, calvaire et viarge.
  • Lorsque nous, francophones d’ailleurs, tentons de sacrer, nous risquons fort d’être ridicules. D’une part car nous écorchons leur prononciation ; d’autre part parce que nous ne savons pas les utiliser dans un contexte approprié.

Influence de l’Église ou libération ?

Les sacres témoignent-ils effectivement de l’héritage religieux québécois ou plutôt de l’émancipation vis-à-vis de l’Église ? Reprendre le vocabulaire ecclésiastique pour en faire des jurons extrêmement vulgaires : voilà un projet qui n’a guère l’air catholique. L’utilisation des sacres semble plutôt être un pied de nez à l’Église. Une manière de se libérer de l’autorité : s’approprier le sacré pour le transformer en moyen d’exclamation.

Les jurons français: bienvenue au lit !

L’Église n’est pas si loin

De nombreux Français restent perplexes face à la [non] vulgarité des sacres québécois, ce qui débouche parfois sur des échanges incompréhensifs, voire houleux ou moqueurs. C’est probablement parce que certains jurons du français de France s’inspirent non plus de l’Église mais du sexe. Le temps où les jurons français venaient de la religion n’est pourtant pas si loin. « Nom de Dieu ! » ou « Dieu soit loué ! » était par exemple une transgression suprême il n’y a pas si longtemps puisqu’évoquer Dieu relevait du blasphème. Mais les nouvelles générations n’utilisent plus du tout les jurons religieux en France.

La nature des jurons et insultes françaises actuelles ?

  • Le sexe : organes (con), actes (enculer), métier (putain), lieu (bordel), la mère (fils de…)
  • Les excréments et liquides biologiques : merde, foutre

L’utilisation des sacres et des jurons ?

Élément ecclésiastique ou fonction biologique, sacre ou juron, la fonction reste la même : s’exclamer !

La flexibilité des sacres

Si les sacres et les jurons constituent à l’origine des interjections, les sacres se déclinent sous de multiples formes grammaticales, ce qui n’est pas systématiquement le cas des jurons. L’interjection « Crisse ! » peut ainsi devenir :

  • Un nom : un p’tit crisse
  • Un verbe : crisser
  • Un adverbe : crissement
  • Un état : être en crisse.

Et il en va de même pour la plupart des sacres.

Sacres et jurons se combinent entre eux

L’un des points communs aux sacres et aux jurons : ils se laissent assembler entre eux. « Ostie de câlisse ! » ou « bordel de merde ! » sont des illustrations que nous éviterons de multiplier. Le but : amplifier l’exclamation – de la même manière que le sacre ou le juron utilisé seul dans une phrase sert à amplifier le propos. « Une putain de belle forêt » est plus fort qu’ « une belle forêt » comme « une crisse de belle aventure » est plus fort qu’ « une belle aventure ».

Comment atténuer la vulgarité des sacres et des jurons ?

Autre point commun des sacres et des jurons : on peut en atténuer la vulgarité pour passer dans le registre du langage familier. Comme « putain » devient parfois « punaise » ou « purée » et « merde » « mercredi » ou « mince », « tabarnak » peut se transformer en « tabarnouche », « tabarouette » et plus d’une dizaine d’autres mots dérivés de l’objet. À noter : chaque sacre a de nombreuses déclinaisons ou déformations atténuées possibles, ce qui n’est pas le cas des jurons.

Pour finir : le B.A.-BA des sacres

Les Québécois utilisent le vocabulaire de l’Église pour jurer, les Français celui du sexe : le constat doit être nuancé. Si les Québécois utilisent des sacres issus du vocabulaire ecclésiastique, ce n’est pas une exclusivité – on peut entendre « merde » aussi dans la Belle-Province ! Les jurons du français de France, eux, invoquaient également Dieu, un blasphème, il n’y a pas si longtemps. Aujourd’hui, ils sont non seulement liés au sexe et à la sexualité mais aussi au corps et à ses fonctions biologiques plus ou moins taboues. Assez juré pour aujourd’hui : quittons-nous sur cette initiation ludique aux sacres québécois :

Lire le premier volet de la trilogie « Le B.A.-BA pour éviter les quiproquos au Québec ».

À venir lundi 1er juin 2015 : troisième volet de la trilogie « France – Québec : pourquoi la guerre des anglicismes ? ».

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *