De l’inégalité des genres

Louise Weiss

Pour étayer ce qui va suivre, prenons les mots apparus récemment dans le lexique numérique, ceux d’influenceur ET influenceuse; la conjonction liant ces derniers néologismes est le symbole opportun pour la thèse intitulée De l’inégalité des genres maintenue par la constante domination du masculin dans le langage courant.

Pourquoi, aussitôt proposé le néologisme influenceur, adjoindre son pendant féminin influenceuse alors que ce mot d’influenceur, par son caractère, fait partie d’une liste ayant la particularité de représenter des rôles depuis toujours dévolus aux puissants de ce monde, aux responsables sociaux et politiques, à ceux qui orientent et guident le cours de l’évolution de la société et qui n’avaient pas à se donner la peine de doter les éléments de cette liste d’une équivalence féminine, hormis les rôle de coulisses, ni tenir compte des potentielles compétences de la moitié demeurée muette mais dont le lent éveil émanant d’une prise de conscience de l’injustice subie eu égard à leur sexe se transmue enfin par la féminisation des termes jusque-là exclusivement chasse gardée du masculin qui, sournoisement, maintenait cette anomalie par la règle de grammaire prétendant que le masculin l’emportait sur le féminin. (Les accros du gazouillis ne sauront pas lire cette phrase à peine proustienne.)

Il ne faut pas se leurrer en pensant établir un semblant d’équilibre entre les genres en maintenant ce faisant la forme linguistique établie par des hommes et continument par le biais d’académies ou de dictionnaires tenus majoritairement par ces mêmes et destinés à être à la traine de l’évolution des mots telle qu’elle se manifeste par la bouche du public. Sans aller jusqu’à évoquer une approche révolutionnaire afin de réellement transformer la langue française, peut-être serait-il envisageable d’oser inventer là où les efforts de féminisation se heurtent plus souvent qu’autrement à des insatisfactions légitimes.

Toute invention évoque la nouveauté et celle-ci, parfois, le rejet avant que l’habitude ne se soit installée et n’ait calmé le malaise initial. Il ne fallait pas parler d’invention lorsqu’il s’est agi d’abord de féminiser des mots n’ayant que le masculin (docteur, professeur, médecin de la liste des rôles dévolus aux puissants). Le simple ajout du « e » à auteur a vu blêmir bien des amateurs de belle langue autant hommes que femmes. Si l’on peut imaginer alors la réaction à de réelles féminisations novatrices, peut-être l’élan concrétisé de la première vague de transformation permettrait-elle une acceptation plus aisée de mots inventés de toutes pièces bien qu’inspirés par la norme actuelle.

Prenons, par exemple, le mot docteur pour lequel le terme vieilli de doctoresse n’a pratiquement plus cour mais qui pourrait être réhabilité, il lui est proposé deux alternatives, soient docteure ou femme docteur. Si la profession avait été nouvelle, tel que celle d’influenceur pour donner influenceuse, docteuse n’aurait pas choqué davantage que chroniqueuse ou programmeuse. Alors usons d’imagination et inspirons-nous des terminaisons neutres en aire (universitaire) ou ologue (psychologue) pour arriver à doctaire ou doctologue neutre à souhait avec l’aval des locutaires s’il y avait. Plusieurs vocables suivraient la même logique : professaire ou professologue, médecinaire ou médecinologue, mots auxquels s’habituer facilement une foi déterminée la préférence puisque connu le suffixe.

Tant qu’à transformer le paysage vocabulaire relatif au genre, y aller à fond. L’exercice est unique et historique comme l’est la révolution féministe qui ne cesse de pousser avant le changement de mentalités tel que le démontre l’effet d’entrainement souhaité dans le cas de la moralisation sexuelle nécessaire dans les rapports entre hommes et femmes. L’outil évolutionnaire que sont les réseaux sociaux n’y est pas pour rien. La machine est en marche et n’est pas prête de s’arrêter. Grâce aux mots…

Illustration : Louise Weiss et des suffragettes, place de la Bastille, mai 1935. Auteur : Keystone.

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